C'est au Bolchoï que Pierre Lacotte vient de présenter en première
mondiale son nouveau ballet "La fille du Pharaon", relecture
du ballet grandiose et spectaculaire de Marius Petipa, créé à Saint
Petersbourg en 1862. Avec Petipa lui-même dans le rôle de Lord
Wilson (Taor) à la création, ce spectacle, d'après "Le Roman de
la Momie" de Théophile Gautier, eut un succès extraordinaire
pendant des années.
Ainsi, Mathilde Kschessinskaïa, dans le rôle titre (Aspiccia), brillait non
seulement par sa technique mais également à cause des diamants
de Fabergé offerts par les Romanov.
Au Bolchoï, ce ballet fut monté en 1864, et même Anna Pavlova se déplaçait pour le
danser. Puis, en 1905, Alexandre Gorski créa sa propre version
beaucoup plus dramatique. Marina Semionova fut, en 1928, la
dernière Aspiccia au théâtre Mariinski. Maintenant, seule
interprète encore en vie, elle assistait aux premières
répétitions de Pierre Lacotte au Bolchoï. Il l'appelle "mon
porte bonheur". Mais à mes questions, elle répond aimablement
qu'après 70 ans, elle a beaucoup oublié!
Pour Pierre Lacotte, l'invitation du Bolchoï à remonter ce ballet lui permettait de
réaliser un vieux rêve. En effet, son professeur de danse Lioubov
Egorova lui avait raconté et montré de nombreux fragments de ce
spectacle oщ elle avait été une resplendissante Aspiccia. Mais il
avait également entendu Kschessinskaïa, Preobrajenskaïa et
Spessivtseva qui aimaient ce ballet, lui en parler. La recherche des
éléments dispersés de ce chef d'œuvre oublié (partition,
chorégraphie, costumes, décors), fut très longue et l'obligea à
consulter non seulement des archives dans différents pays mais à
solliciter la mémoire directe ou transmise d'anciens danseurs. C'est
ainsi que grâce à Jean Babilée, qui l'avait appris d'Alexandre
Volinine, une variation originale de Gorski est intégrée au nouveau
ballet. Cependant, si la partition de Cesare Pugni a pu être
reconstituée, ce ne fut pas le cas pour la chorégraphie de Petipa.
Seules quatre variations originales figurent dans le nouveau ballet
en plus de celle de Gorski.
C'est donc pratiquement une nouvelle
chorégraphie mais parfaitement conçue dans l'esprit et le style de
Petipa qui nous est proposée. A l'origine, le spectacle durait
quatre heures, trop long pour le public actuel. Des coupures
raisonnables le réduisent maintenant à un peu plus de deux heures.
Le décor et les costumes (plus de cinq cents) ont été également
conçus par Pierre Lacotte et merveilleusement réalisés par le
Bolchoï. Tout en gardant l'atmosphère de l'Egypte ancienne, il a su
recréer des costumes splendides beaucoup plus contemporains que les
originaux retrouvés sur les photos et les esquisses.
Après 6 mois
de travail acharné de préparation à Paris et dix semaines de
répétition au Bolchoï, la nouvelle "fille du Pharaon" (en
trois actes et neuf tableaux) a remporté un vif succès auprès du
public moscovite. Malgré le style pompeux de certaines scènes avec
des défilés impressionnants, ce spectacle féerique et mystique se
regarde avec un immense intérêt et les trois actes passent comme
dans un souffle. Les danses des solistes et du corps de ballet sont
magnifiques.
Trois couples très différents assuraient les rôles principaux (Aspiccia et Taor) des
premières soirées: Nina Ananiaschvili au faîte de son art, très à
l'aise dans son rôle et Serge Filin merveilleux dans tout le
spectacle; Nadia Gratcheva dégageant un lyrisme extraordinaire et
Nicolas Tsiskaridze très doué mais plus fantasque; Svetlana
Lougnkina, jeune danseuse, gracieuse et montrant déjà
d'extraordinaires possibilités et Dimitri Belogolovtsev très sérieux
et appliqué. Parmi les autres interprètes, Maria Aleksandrova dans
le rôle de Ramze, jeune ballerine de grand talent, charmait par
l'absolue pureté de son style.
Mais dans l'ensemble, les artistes russes habitués à des mouvements amples et plus lents avaient
parfois du mal à maîtriser la chorégraphie de Lacotte caractérisée
par de petits pas précis et rapides. Andreï Ouvarov, grande étoile
du Bolchoï, a même capitulé et refusé de danser dans ce
ballet.
En 2003, le Ballet du Bolchoï vient à Paris, et nous
pourrons sans doute voir "La fille du Pharaon".
Victor IGNATOV
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